Entrepreneurs : faut-il s’expatrier pour réussir ?

Etre chef d’entreprise en France n’est pas une sinécure. Poids des charges, législation instable et défavorable, toute puissance de l’administration, climat suspicieux – quand il n’est pas franchement hostile – à l’égard des entrepreneurs…

C’est pourquoi certains d’entre eux choisissent de s’expatrier, pour nouer, ou renouer, avec la réussite.

Entrepreneurs : faut-il s’expatrier pour réussir ?

La France n’est pas une terre favorable à l’entrepreneuriat…

En novembre dernier, la Banque Mondiale et PwC ont publié leur étude annuelle comparant les taux d’imposition des entreprises dans le monde (1). Celle-ci révèle que le taux d’imposition du résultat commercial des PME en France s’élève à 64,7% (2) – des charges sociales en grande majorité -, pour une moyenne mondiale de 43,1%. Et quand ErnstYoung avance dans son baromètre Entrepreneuriat que créer une entreprise en France est plus facile en moyenne que dans les autres pays du G20, c’est aussi pour montrer qu’en matière de réglementation et de fiscalité, le pays occupe en revanche le bas du tableau (3). Bref, le contexte législatif et fiscal fait que développer et pérenniser son entreprise en France est un vrai parcours du combattant. Pire, le climat et la culture semblent « génétiquement » opposés aux entrepreneurs.

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« Les patrons sont fatigués des contrôles fiscaux et sociaux à répétition dont ils sont l’objet. Ils sont écœurés de la suspicion permanente dont fait preuve trop souvent le fisc à leur égard », observe ainsi Jean-Philippe Delsol (4). Gabrielle Odinot, qui dirige un cabinet qui aide les chefs d’entreprises à se développer ou se relocaliser sur le territoire américain, rapporte que ceux-ci « se plaignent que la législation change tout le temps, qu’ils n’ont pas de sécurité législative et fiscale ». Amaury de Viviès, le DG de Intys Consulting (installé au Luxembourg), résume : « aujourd’hui il n’y a rien qui retient un entrepreneur en France ». Son conseil aux entrepreneurs ? « Surtout de ne pas s’installer en France ».  Et d’ailleurs, l’exode est une réalité : une récente étude de la CCIP indique que sur 10 expatriés, 2 sont des entrepreneurs. Une proportion qui a doublé en 10 ans.

Quand l’herbe semble vraiment plus verte…

Moins de lourdeurs, moins de charges, plus d’esprit entrepreneurial : voilà ce que les entrepreneurs cherchent – et trouvent- à l’étranger. Pierre Jolivet, qui dirige Costa Rica Découverte, une agence de voyages installée au Costa Rica et devenue « un des acteurs majeurs en agence de voyage francophone » dans son pays, est catégorique : « la même entreprise n’aurait pu survivre installée en France ». Mehdi Djabri, le co-fondateur de Jogabo, un réseau social pour amateurs de football, installé dans la Silicon Valley, décrit quant à lui un écosystème et une mentalité hors de France beaucoup plus propices à l’entrepreneuriat. En France, « la culture est beaucoup moins favorable aux start-up en général », explique-t-il.

L’étranger, terre de seconde chance

Quant aux entreprises déjà installées sur le sol français, elles peuvent aussi être tentées par la voie de l’expatriation. C’est une idée que défend le docteur en droit Yves Laisné, patron d’un cabinet de conseil, qui y voit le moyen, dans certains cas, pour les sociétés qui connaissent des difficultés conjoncturelles de sauver leur activité en permettant à des entreprises d’avoir plus de temps pour faire face à leurs créanciers. Elles peuvent en effet de la sorte échapper à la liquidation, qui devient vite inévitable lorsque l’on se retrouve en défaut de paiement. Son cabinet conseille ainsi les entreprises dans les opérations de TUPTRANS (Transmission Universelle de Patrimoine transfrontalière), qui résultent d’une disposition du code civil permettant de dissoudre une entreprise en transmettant son patrimoine, actif et passif, à une autre. Il explique qu’en localisant cette dernière à l’étranger, ce que rien n’interdit, « les créanciers qui décideraient de mener à leurs termes les investigations disposent toujours d’un interlocuteur ». Mais ils le font rarement, voire jamais, car elles sont « notoirement peu enclins à poursuivre leurs investigations au-delà des seules frontières nationales », a observé Yves Laisné, qui propose donc une solution juridique, et légale en offrant un bol d’air aux entreprises en difficulté. Il assure que même Bercy ne voit pas ce système d’un si mauvais œil, car il permet de maintenir les emplois…

Quant aux entrepreneurs effectivement passés par la faillite, ils risquent fort, s’ils veulent retenter leur chance, de devoir le faire… à l’étranger. Car en France, l’échec est stigmatisé. Christian Baudchon en a fait l’expérience : inscrit sur le fichier 0.40 de la Banque de France suite à une faillite, il a été totalement lâché par les banques lors de sa seconde tentative de création d’entreprise (5). Même si ce fichier a depuis été supprimé (pour la première faillite), il témoigne d’une mentalité qui reste, elle, bien ancrée : « j’ai compris que mon échec me collerait toujours à la peau […]. J’ai décidé de m’expatrier », témoigne celui qui tente désormais sa chance au Canada. Car dans les pays anglo-saxons, « se planter lorsqu’on crée une entreprise c’est presque un plus sur le CV. Cela veut dire que l’on a osé et appris de ses erreurs », explique Viviane de Beaufort, professeur à l’ESSEC, qui regrette notre regard actuel sur « l’échec entrepreneurial ».

Bien sûr, réussir son aventure entrepreneuriale en France n’est pas impossible. Mais les bâtons dans les roues seront nombreux. Et d’ailleurs, ironie suprême, même l’APCE (L’Agence pour la Création d’entreprise) vient de frôler… le dépôt de bilan. Ce qui ne manquera pas d’appuyer les arguments des entrepreneurs français expatriés !

(1) Paying taxes 2014: http://www.pwc.fr/paying-taxes-2014.html
(2) Ce taux comprend : l’imposition des bénéfices, les cotisations et les charges sociales supportées par l’employeur, la taxe foncière, l’imposition des dividendes, l’impôt sur les plus-values ou encore les taxes sur la collecte des déchets. Voir le classement européen : http://www.finance-and-co.biz/articles/la-france-championne-deurope-des-pr%C3%A9l%C3%A8vements-sociaux.html
(3) http://www.ey.com/FR/fr/Newsroom/News-releases/Communique-de-presse—Barometre-Entrepreneuriat-dans-le-G20
(4) Jean-Pierre Delsol est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Pourquoi je vais quitter la France » http://www.tatamis.fr/sites/journalisme/article/article.php/id/111548
(5) Christian Baudchon avait fondé l’entreprise Proxima Créative à Bordeaux, qui a été liquidée en 2008. Il dirige désormais sa société de vente en ligne de cartes routières spécialisées depuis le Canada. Voir son récit : http://www.lejournaldesentreprises.com/editions/33/actualite/point-de-vue/christian-baudchon-j-ai-quitte-la-france-et-cree-ma-boite-au-canada-08-11-2013-208622.php

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